La pudeur d'en être là ne change rien (sarouel psychique dévôtement posé sur la nudité du tout)


Tu te souviens de cette soirée ? Par deux fois le torchon a brûlé comme le dit l’expression, la même table à deux heures d’écart et la serviette en papier qui prend feu, je ne vois vraiment pas où tu veux en venir tu dis mais attends, patience, je réfléchis, donc la flamme s’élève et d’où vient-elle ? Que se passe-t-il ce soir là dans ce restaurant ? Je m’interroge, c’est comme raconter un rêve sauf que c’est réel, mais regardons à l’envers, ou autrement, disons que c’est un rêve, disons que chaque mot est important pour situer l’action et trouver un sens, disons qu’à côté de nous deux vieux bonshommes parlent fort et sur un ton condescendant d’un film inutile et à la critique facile, disons qu’ils veulent engager la conversation avec nous juste quand on sort avec nos verres fumer une clope, disons que le vin rouge commence à me tourner la tête, tu rigoles, il a trois ans d’âge sur l’étiquette, le contenu rouge sang, tu n’es plus en face mais à côté, à regarder dans la même direction que moi mais sans nous voir, à côté de nous une jeune fille brune au visage pâle que je ne verrai jamais tout entier lit Cent ans de solitude, tu joues avec de petits couteaux au risque de te blesser, il me vient un souvenir d’une après midi au petit bonheur la chance à dériver sur une dalle en béton en bord de seine, immobile sous le pont de Sully, de nos corps enlacés comme des serpents qui s’échangent les peaux, une autre fin de journée où je te croise à l’angle en bas là où je rêvais de toi la veille, ou bien est-ce le contraire, je verse la cire chaude d’une bougie sur mon pantalon en voulant faire de la place, comme être dans le rêve d’un autre, le rêve d’une ville quand les talons claquent sur le sol comme dans une boîte crânienne, une ville nous rêve, c’est la meilleure solution, l’autre éventualité étant que chaque élément du réel s’interprète comme les fragments signifiants d’un rêve, le réel comme on l’appelle n’étant que la représentation qu’on s’en fait d’une véritable forme du vrai, cruelle et violente, comme des faunes pour les hommes, ces animaux mi humains à l’intelligence vivement supérieure, mythologie qui se déplace autour de nous plus vite que l’œil, et qui nous observent, et qui ont tout pouvoir comme nous même en avons sur les insectes, non pas mal intentionnés mais un faux mouvement est si vite arrivé, les babines retroussées et tachées de sang frais, le pouvoir supérieur impose des responsabilités, mais aussi de nouvelles possibilités, et si manger la chair est la loi que nous ne comprenons pas, que disent les faunes à nous voir mettre la viande dans des cartons ? La véritable réalité, impalpable, celle que l’on ne peut pas voir ni même imaginer, et qui se cache derrière la représentation que l’on s’en fait, reste hors de portée de nous. On décrira l’environnement selon un modèle et on discutera à partir de chaque variable extraite de ce système.  Double faute, puisqu’à pallier à notre incapacité à voir les faits tels qu’ils sont en réalité, on crée un virtuel mais que l’on ne peut comprendre qu’en en retirant les sucs pour les rapporter encore à soi plutôt que de laisser les données vivre pour elles même, la variable par le regard externe au système est vue comme « étant » et non pas comme son « être », une sorte d’erreur consentie. A force de réfléchir sur ce modèle erroné on oublie qu’observer une particule c’est déjà modifier l’équation. Autant de raisons de ne rien vouloir savoir. Tu attrapes la bouteille par le goulot et tu en casses le cul sur la table. Le tesson ressemble à des dents de verre.  Le réel tel que nous le percevons n’est pas plus qu’un rêve d’un autre genre, une certaine forme d’imaginaire en comparaison avec le dur de l’élément vital tel qu’il ne nous est pas donné de le voir. Ainsi certaines choses prennent sens, d’autres encore se précipitent, et toi là c’est aussi pour ça. 


Bande son Idéale : Out there - Dinosaur Jr