Chambre 208



Jusque là j'écrivais sur deux personnages choisis au hasard pour être sans le savoir les protagonistes d'une situation créée de toute pièce, conglomérat cheval de Troie dans l'avancée masquée des choses. Martial Béranger par exemple, s'élance dans le couloir les oreilles volontairement remplies de cire liquide. Des vaguelettes chaudes et épaisses s'écoulent à chaque impulsion dans ses circonvolutions labyrinthiques et troublent le rapport proprioceptif de ses membres avec son cerveau. A huit mille kilomètres de là au même moment,Yann Gùnzbek met un terme à la prépondérance de l'étrange dans un rapport curieusement intitulé "L'astringent: notes sur le monde" et qu'il remet bientôt à son directeur de thèse, catcheur mexicain le soir (El Poderoso). Puis Martial lustre sa housse de raquette tout en sirotant un délicieux gin martini à la paille. Il respire par le nez à intervalles réguliers, et son sourire se veut étanche (au fond de la coupe ce n'était que chair et noyaux, il lèche maintenant le résidu comme des cailloux de miel). Yann Gùnzbek lui s'apitoie sur son sort au maximum de sa concentration dans l’arrière cour d’une pulqueria du D.F., décidé à extraire le près et le contigüe de la zone de friction qu'il avait délimité en grattant le dos d’une épluchure d’orange, étendu par terre et nu. Intuition panique un matin: pourquoi ne pas brûler du feu de l'intérieur? L'heure approche, on se retrouve enfin sur la terrasse du PE, et Sloane et ses deux Jennifer ont des jupes à carreau et des tenues d'écolières. Début de soirée chez Jean Biton, dîner et autres affaires mondaines sous des trophées à tête de lapin à cornes, et regardés par des masques africains. On parle du succès de la contre Fiac organisée par Biton. On écoute Crass, en souvenir du bon vieux temps. Angoisse soudain, qui se sent vieillir? Sloane se lève et s'en va car la nuit est jeune. Nous la suivons, ses jambes agiles tapent le talon sur le sol et c'est l'hymne de nos nuits. Les deux Jennifer s'attrapent par la main et accourent de façon systématique et étudiée vers les passants. Nous portons des lunettes un peu spéciales pour l'occasion, asymétriques et de montures différentes jointes au fer au milieu. Au 00 cocktail rhum gingembre, le meilleur de la ville. Plus tard, maintenant, Crescendo donne le meilleur de son mix dans la soirée privée d'un couturier hystérique, puis on file à l'after chambre 208 de l'hôtel K. Sloane est debout sur le lit, immobile, et sa jupe remonte comme par magie le long de ses hanches magnifiques comme elle danse, lascive, et personne n'ose encore approcher, profitant de ces derniers moments de repos avant l'action. Jennifer, assise en culotte sur la moquette jusque là, enfin se lève et l'accompagne. Oui mais laquelle? Celle qui a une marque de naissance au dessus des reins. Alors il advint quelque chose de très inattendu. Dehors, le jour se lève. La lumière perce à travers le filtre-paranoïaque des rideaux. Le vent tiède fait voleter le tissu épais et blanc, épousant par ses contours un mouvement silencieux lent et pendulaire. Les nuages au-dessus des bâtiments semblent s’étirer prodigieusement, embrasés de rouge et tendus sur toute la longueur du ciel. Dans la pièce, à l’obscurité succède la clarté et le dû remplace enfin la promesse.

Bande son idéale: The Beastie Boys- Intergalactic