Des raisons d'espérer


Comme d’habitude : on avait rendez vous, tu étais en retard - ce qui ne veut pas dire que tu n’étais pas là, je suis prêt à l’admettre. J’étais aussi en avance peut être, j’évalue la possibilité de discordances dans les brouillis du temps (le souvenir est comme la surface de Solfatare, un volcan plat à sol de cendre et de souffre, et de grosses bulles monstrueuses qui crèvent l’une dans l’autre, regarder où on met les pieds, voir au loin, sentir la tension accumulée rouler sous la terre et dans son ventre, puis exploser au hasard et occulter le silence et la paix d’un monde sentencieux). C’était on ne peut plus simple : tu ne viendrais pas/je ne comprendrais pas. Travailler l’instant. Répétition de la scène jusqu’à distance convenable. Introduire la notion de vrai/faux et d’indétermination concomitante, toutes les réponses sont justes, et tout est possible => La déception est possible. S’en amuser (en se rongeant les ongles et à regarder les passants de travers). Les démons qui m’agitent le crâne sont des êtres de langage. A combattre donc par le langage et c’est pour cela que tu me vois devant toi (pouvoir révélé des mots, alchimie verbale, exorcisme etc…). La dualité, qui est l’esprit du chaos et de ce qui pourrait arriver, veut que tu sois aussi peut-être venue – applaudissements. Tu apparais. Tu es un peu essoufflée. Je m’efforce d’avoir l’air à la fois insolent et digne. Tout est dans le détail – une cigarette que je n’allume pas, une fleur fanée que je bouscule du bout du pied – ça aurait pu être toi ; prendre un air absent, et penser à une peluche usée très drôle, sans yeux ni bouche ni main ni tête – ça aurait pu être moi, et tu danses d’un pied sur l’autre, moi j’ai des débuts de phrase qui me viennent comme ça comme si j’entendais des voix, mais en fait je ne sais pas quoi dire, on se rapproche ensemble d’une certaine forme de pureté absolue un peu ridicule et tu souris – je t’en prie arrête (c’est embarrassant, tu ne devrais pas sourire comme ça tout le temps, je n’arrive plus à penser). Nous ne faisons pas la queue devant le concert de Silicon Milk, mélange africano cubain entre Léonard Cohen et Kraftwek, avec la chanson idiote du bonheur qui ne part plus dans la tête. Lors de la soirée No Party au R, nous n’écoutons pas le set électro-fuzzi de DJ Kuskus les corps rapprochés, les genoux qui se touchent, la sueur sur la poitrine et un verre de vodka grenadine dans chaque main. Le téléphone sonne mais tu ne réponds pas. C’est irrationnel. Nous mâchons mollement les restes d’un animal mort aux veines saillantes dans la chambre aux miroirs du P qui ne ferme jamais, les verres reposés sur un véritable guéridon humain de 19ans, cul tendu, presque brune, talons indécents et dessous Chantal Defuzet. Je suis cérébral mais j’ai mes limites. Nous évitons les regards qui nous reviennent réfléchis depuis toutes les directions – chacune des images inversées des miroirs dans un autre, jusqu’à la nausée, comme après un mauvais trip de Crystal frelaté (ça ne se conserve pas au frigo). Chaque geste, chaque respiration semblent déplacés. Cette nuit est une transgression continue. Nous nous perdons au retour. La sortie c’est au fond, non pas la ligne droite, mais prendre l’escalier en spirale. Dehors, la ville apparaît comme un immense désir à combler quand rien ne suffit plus. Toutes les directions vont vers l’immense appartement sur Seine occupé encore quelques heures toutes lumières éteintes par quelques initiés qui vont se relayer et nous savons tous les deux qui sont ces gens et ce qui s’y passe. Rester subtils. Mais nous ne les rejoignons pas, d’ailleurs je n’en ai pas envie. Je ne veux pas non plus de t’écarter les peaux, ni t’arracher les yeux, je ne pense pas à te mordre lèvres, pour finir je n’ai pas l’intention de lécher quoi que ce soit. Qu’attends-tu de moi, tu demandes? Rien. Tu es vraiment pleine de qualités, j’en ai tout à fait conscience ; j’ai simplement mes défauts. Tu dois comprendre aussi que certaines choses changent/d’autres pas. En secret vois-tu je te hais. On aurait du commencer par là. Ca passera tu sais (des raisons d’espérer).

Bande son idéale : Franz Ferdinand - Do you want to