Structure échos et reflexions par tous les uns

La frontière pointillée entre les espaces définis s’efface dans la nuit. Ce qui disparait c’est une certaine forme de mémoire immédiate, consentie, structurée par le grain visible du jour, les mises en place, les formes, les couleurs, les visages et l’ensemble des décors d’un système qui, si l’on commence à remettre en cause ses présupposés, se tapit dans les coins et manque alors à l’appel - le tissu conjectural se distend puis se retrouve et se heurte à lui même, plisse et se ride, il pèse maintenant par son centre et s’effondre, aspiré et poreux : il s’écroule. Alors percer le rideau par une nouvelle forme d’intuition qui saura tisser des paysages par exemple avec des couleurs et les variables combinatoires de certaines suites mathématiques, déterminer la métastructure reine et faire allégeance au chaos comme seule force décisive et qui prédispose à la gravité et aux magnétismes. Des molécules en flux qui s’affrontent aux récifs du vivant, comme sels oxydants sur les structures carboniques. Analogie mentale contre univers physiques. Sloane, bas résilles et smoke eyes, traverse le plan cosmique et s’allonge sur la table mal essuyée un verre de Gin-Martini-Olives à la main. Retours à la P ce soir pour l’anniversaire open bar de Jean Biton. Les deux Jennifer se tiennent affectueusement par la taille, et Little Joe est le messie intergalactique d’un monde qui n’existe que dans son imagination. Les lieux ont une mémoire, et entre ces murs qui nous ont vu passer souvent, chacun sent en secret une pointe de nostalgie glacée lui tourner dans le ventre avec délice – c’était il y a quelque semaines, nous avons décidé de ne plus revenir, car personne ne savait plus dans ce repère branché qui était censé imiter qui et qui devait s’en offenser. Marijane est dans un coin du bar à étonner tout son parterre à la description d’une soirée particulière avec ses deux Vladimirs. Près d’elle, il me semble reconnaitre Raymond le Dog, chemise à fleur Yushia Milie, bretelles colonel, petit gilet en satin vert moulant et jean taille très basse à ras sur les chevilles, découvrant de petits escarpins marrons à bouts limés, mais quand je lui fais signe, il semble un instant me reconnaître puis se ravise. C’est que juste à côté de moi, derrière ses lunettes à verre réfléchissant Yuritone, sous un chapeau gris à carreau égayé d’une marguerite artificielle, polo Ralph Muren jaune uni, pantalon à lanières et bottines en daim vert d’oie, le véritable Raymond le Dog lui fait face avec insistance dans une position de force muette, prêt à bondir à la gorge et à serrer à la moindre tentative d’approche. Je regarde autour de nous. Orion, véritable avatar et virtuel circonstancié métastasé dans mon cerveau, s’en tient sans dire un mot à l’éthique de Star Wars, reproductible et fiable, force pure contre côté obscur, mais cela manque assez de subtilité en ces circonstances. Eric de La Joya insiste à l’oreille d’une portoricaine au corps apparemment vibratile, quelques grains de sueur perlés qui épousent chacune de ses formes et dont le corps s’alanguit en retours : leur descendance pourrait être l’enfant stellaire. A quelques mètres de là, derrière des montures en écaille et le regard élancé dans le vague comme une poignée de main molle, les rares cheveux éparpillés sur un crâne lustré au plus près, une cravate rouge sur une chemise à carreau épaisse, un gilet de laine tricoté main et des pantalons en velours côtelés, préfiguration certaine d’une mode à venir, seuls les traits du visage varient mais les ressemblances de forme et d’allure font des deux Eric de la Joya chacun le clône de l’autre. Je me sens épié. Un verre de Vodka grenadine à la main, tricot de peau Brigitte Fwkjy, bracelets tressés sur tout l’avant bras, le cheveux humide ou bien gras et la barbe taillée à la serpe, le regard vitreux qui me fixe, col remonté d’un ample pardessus Paul L’oto jusqu’aux oreilles, collants de laine noire sous un short en jean baggy et bottes marrons dépareillées, c’est celui qui semble être le sosie à moi dédié – même si je suis quant à moi parfaitement épilé du visage et du corps depuis la veille, costume à coudière Giorgio Cavole au plus près du corps, chemise à jabot, lunettes volta, cheveux parfaitement peignés et ongles manucurés, petits souliers à boucle vernis enfin, à talons moyenâgeux. Partout tout autour, des clones qui nous ressemblent et que chaque soir nous évitons de croiser, dont l’existence singulière avérée rend la nôtre précaire. Comme nous ils ont les intestins fragiles. Comme nous ils sont cette nouvelle sorte d’aristocratie par filiation et affinités subtiles, habitués aux mets les plus fins. Comme nous ils décident pour d’autres de l’espace et du temps. Mais quand nous dînons avec Philippe Garec, ou bien avec la nièce de la voisine de Luc Besson, ces prototypes dupliqués passent un week end sous les tonnelles en pays Lubéron avec Scarlett et sa sœur, ou se font réveiller en pleine nuit par Cloé S en pleine rupture amoureuse. Si bien que si nos aires d’influence sont les mêmes, la question qui se poserait et que nous fuyions en quittant la P au plus vite serait de savoir véritablement qui se réfère à qui. Personne pourtant, car la nuit est un espace ouvert, et là comme ailleurs on n’est pas sûr vraiment de n’être pas plusieurs. Rares apparitions, la grâce elle est unique, qui disparaît sitôt qu’on s’est approché, drapée parfois dans rideaux de pluie, comme on a des débuts de phrases et on voudrait qu’elles ne finissent jamais. Un corps certes, mais aussi les combinaisons du possible associées. Souvenirs alors, mémoire étendue qui traverse les plans, un relargage récurent et lent. Préciser goût et singularités de chacune des parties. La réverbération en écho de ces petits évènements mentaux est un processus que je n’explique pas, mais saurait on tout expliquer.


Bande son idéale: Tahiti 80 - All around (Yuksek remix)