La ligne discontinue (ne s'arrête pas)


Bien sûr il avait pensé à la quitter mais à bien y réfléchir son corps était une des seules choses dont il se sentait proche dans ce qui lui restait de ce monde, cendres éparpillées sur le dernier rivage, tous échoués par temps clair, une lumière aveuglante, les choses semblaient évidentes mais à bien y regarder rien de tout cela ne se justifiait, il n’y avait plus de cause ni de raison, de la matière en magma brûlant par tous les trous de la terre, des faisceaux déjà formés à encrer/ancrer les esprits, le questionnement du verbe défait par ce qu’on nous en dit, à nous faire croire en des présupposés concrets, tout ce par quoi on est né, ce qui nous attendait là, esclaves d’une volonté essoufflée depuis des milliers d’année, le système est en place et se nourrit du système, avance et invente de nouvelles raisons, et des solutions propres pour le système, et c’est là le choix de l’homme mais lequel ? Qui ? Sommes- nous celui là ? A bien y regarder nous =maladie mentale consentie - symptômes, physiologie, anamnèse, récurrences. Nous sommes la flamme et vous êtes la bougie et nous vous consumerons – ou nous nous éteindrons dans la flaque de ce que vous êtes et alors une autre lumière plus loin. J’avais encore envie de te voir te lever et de sentir ton absence dans le lit, ton odeur sur l’oreiller et les cheveux légers éparpillés sur mon corps comme attestant de la nuit, tu sortirais peut être faire un tour, en faisant le moins de bruit possible, tu as mis ton imperméable et tes bottes, tes yeux sont mal fardés, tu sens les regards dans la rue s’accrocher à ton cul, des mains imaginaires qui viennent par derrière remonter ta jupe fendue, ou peut être es tu là à fumer dans le vide une tasse de café froid à la main à te demander qui je suis au fond, qu’importe j’attends en faisant semblant de dormir à te sentir revenir sans savoir par combien de bouches tu étais passée. Quelque chose s’est déréglé dans l’enchainement causal des évènements comme on saute de wagon en wagon et la suspension entre deux moments du temps qui nous parcourt peut donner le vertige. Le monde et moi ne nous intéressons pas à la même chose. Quel que soit mon style, rester professionnel et urbain, comme on dirait de certaines travailleuses. Ambition d’écrire une histoire à contrarier à chaque page, ou de lire un livre qui déborderait sur le vrai, ou d’imaginer une suite ininterrompue de scènes vidées de la tension d’une catharsis passée sous silence et qui resterait toujours inexpliquée, ce qui est s’approcher le plus d’une tentative d’explication, comme l’intuition du sens. Le lecteur assidu s’en est déjà rendu compte, Sloane et la femme médecin sont la même personne. Toutes les deux ont disparu. Il ne reste rien. Mon ostéopathe porte des espadrilles. Aka Lulu n’interagit plus qu’avec Little Joe, qui feint de m’ignorer. Eric de La Joya est aux Moustiques, quand à Raymond le Dog, c’est toujours le même, ce qui est d’autant plus inquiétant. Tout ceci prend l’allure d’un immense symptôme prêt à s’effondrer. La ligne discontinue des choses ne s’arrête pas. Steve K au Coton Tige se déguise en super héro de la musique séminale 2.0. Envie soudaine d’écrire un livre sur les dérives nocturnes d’un noctambule éthéré dans une ville/cerveau, de confondre le rêve et la réalité, de construire des lignes de fuites depuis chaque proposition du réel à partir de ce que peut un corps et de toutes les possibilités qui en découlent ; envie aussi de déconstruire la notion abstraite de réalité et de prendre littéralement pour un fait acquis ce qui est l’envers du décors – des autoroutes libres, des extases infinies, des univers immenses repliés sur eux-mêmes entre les atomes, des désirs inassouvis, marcher pieds nus dans l’herbe fraîche un soir aussi, les yeux fermés, les bras tendus, la peau ouverte. J’en parle à mon éditrice. J'appellerais ce livre Zéros. Elle me regarde et ne répond rien – est-ce que tu existes vraiment ? Es tu le produit de mon imagination ? Suis-je ma propre fiction ? Ou bien la tienne ?- Assis sur le rebord du trottoir je la regarde s’éloigner, et à la fois je danse le torse nu et des peintures de guerre sur le visage autour du bûcher dans une forêt dense en récitant des chants de tribus disparues, des flammes qui s’élèvent jusqu’au ciel et les nœuds du bois qui explosent, cercle dément qui nous entraîne, une transe agitée, faune et sauvage, les corps qui ne nous appartiennent pas ne sont qu’un véhicule pour les énergies qui vont s’échanger, et dans le taxi aussi de façon concomitante je suis avec elle à lui expliquer tout ce que je suis en ce moment et alors elle met sa main sur ma cuisse et s’approche et je l’écoute en réponse commencer une histoire que pour de multiples raisons elle ne finira jamais.


Bande son idéale: Tiga - Sunglasses at night