Cinétique autorisée et pixels de joie




De grandes périodes de trouble. Des creux en descente à attendre. Le mouvement des vases communicants ou la description des forces cinétiques et de leurs effets expliquent très bien ceci : l’attente d’un jour nouveau, un jour neuf, un jour après une nuit comme une guerre, et qui propulsé par l’élan de la chute initiale mettrait à profit toute la célérité pour gravir à nouveau tous les sommets que l’on rencontrerait, à bout de bras vers ciel, la pulpe bien agrippée contre la terre encore humide de la rosée, les coudes enfoncés dans le meuble, et l’œil enfin redevenu lumineux (dans une autre métaphore sans pente douce, on admet aussi l’écrasement définitif contre le sol mais mieux vaut ne pas y penser). Pour beaucoup le début de la fashion week annonce ce jour là, de façon obligatoire et nécessaire. Alors peu importe ce qu’il en coûtera, la semaine sera fulgurante ou bien elle ne sera pas. Certaines de nos connaissances, pour ne pas subir tant de pression ni cette mordante obligation de la joie à toute heure, choisissent de s’absenter de Paris quelques jours pour un aller-retour chez leur tante à l’ouest du Canada ou en Suisse. Bien mal leur en prend, car à ce jeu là, si l’on est assuré d’avoir ici quelque chose à vivre, en bien ou en mal, on ne peut pas appréhender dans toute sa complexité l’ensemble de ces vies que l’on n’aura pas vécu, tout ce qui ne ce sera pas dit ni ce qui nous aura manqué, non plus tous les mécanismes qui en découlent et en viennent à l’accélération et à la résolution de paraboles globales. Ne pas fuir donc, en aucun cas, et arborer son happy sourire le plus tranquille et festif, derrière des lunettes noires JG, les cheveux raidis et lissés, noués haut au dessus du crâne comme un nœud de paquet cadeau improbable, les oreilles trouées d’implants et le cou tatoué en biais. Boire bien toute la joie jusqu’à la dernière goutte, car la question ne se posera plus en fin de semaine : la joie est bien liquide. On ne dort plus, où on ne le sait plus. Peut-être au bas des podiums les yeux brièvement clos derrière les montures soignées à rêver d’un œuf immense sans début ni fin, et qui s’étendrait sur toute la surface de la Terre, tandis que les collections prestigieuses font crépiter les flashs et relâcher les soupirs les plus distingués. On se réveille dans un placard la chemise défaite et la bave aux coins des lèvres, à se demander véritablement où l’on est, ce qui revient un peu à se demander en réalité qui l’on est et aussi quand. Prendre des notes. Ecrire sur soi ou sur un autre corps, ce que l’on veut et où l’on va, flèches multidirectionnelles croisées avec d’autres messages concordants, la peau comme une carte au trésor à explorer. Saläs et Fuke sont deux journalistes coréens chargés de couvrir l’évènement pour Soleil 9, et ils me suivent partout, n’intervenant parfois que pour m’indiquer l’endroit le plus près où je pourrais reprendre l’équilibre, ou pour m’assurer que nous sommes à l’endroit indiqué quand j’essaie par tous les moyens de remonter jusqu’à l’origine de la soif. Soirée au V en plein cœur du Parc Monceau, la femme médecin est en vert, elle rencontre un présentateur météo très strict qui aime à parsemer ses interventions de petites intentions ciblées auxquelles on ne prête pas attention, sauf les personnes concernées (ce qui peut parfois surcharger le discours et l’oblige à parler très vite). Sloane fait une apparition remarquée à l’hôtel particulier redécoré en blanc pour l’occasion chez KL, habillée de la tête aux pieds en Virginie Koriola, ex décoratrice bulgare et fille adoptive du couturier bannie pour une histoire d’olives, mais les pieds s’arrêteraient au dessus du mi cuisses et les épaules sont nues sous un châle noir comme la nuit parsemé d’étoiles. Les deux Jennifer portent des bougies à flamme violette, larges, hautes, et dont la cire chaude leur aura recouvert les doigts, incrustant les chairs sous les rameaux veinés et durcis de matière parfumée. Soudain Marijane fait son apparition portée à bout de bras au dessus des épaules de ses deux Vladimirs, sans toucher terre, des colliers en or et des bracelets cinglants lui enchaînant le corps, drapée dans une tenue transparente maintenue sur elle même par une épingle en forme d’iguane, ou bien par un lézard vivant charmé et dressé pour mordre, à la fois dense et légère, et magnifiquement dessinée surtout, comme tenue au ciel par les fils imaginaires d’une incroyable réalité ou une aura persistante qui gagnerait tous les cœurs. Sloane et Marijane se regardent brièvement du coin de l’œil, des yeux outrageusement maquillés pour l’occasion. Elles ne se sont pas vues depuis le lycée, se partageant pour nous la nuit aux frontières mouvantes et imaginaires. Rien n’est plus comme avant, je me retourne vers Orion. Il écarquille de grands yeux et souffle entre ses dents en mimant le mouvement de la tortue du temps qui soutient le monde. Depuis là où je suis alors, quelques temps ont passé, et sous la statue grecque du satyre à la vigne qui surveille le quart oriental du jardin d’hiver, mon champs de vision révélé par les lumières du projecteur de la télévision coréenne, le moindre grain de sucre sur le sol mouillé par la bouteille que j’aurais disons renversée est un monde de réflexions vibratiles et de perceptions lumineuses à corriger. Il faudrait trouver un moyen de traiter toutes ce minuscules aspérités en pixels et d’en faire des vecteurs reproductibles je me dis. Saläs et Fuke, qui ne me comprennent pas, acquiescent. En figer le sens et la direction pour en réinscrire le mouvement, sorte de façon de tout coller, tout agréger et donc de recomposer des espaces et des corps nouveaux, combinaisons synthétiques et tactiles nécessaires et jusqu'à l'outrance, puis réintervention des sens, multiplication des plans de l’analyse, le magnétisme, les éléments déchaînés, les sciences physiques, et les langues orientales au secours d’une certaine forme de volonté de continuité, rapprochement des corps, et strates communicantes et subversives par mutations de l'un à l'autre. La pellicule photographique ne suffirait pas à retranscrire ces univers là. S’efforcer pourtant. Croire en la joie.

Bande son idéale: Friendly Fires - In the hospital