Reborn soon



Depuis le matin, les travaux de l'hôtel à côté m'empêchent de réfléchir pour moi et d'écrire, il s'en suit que tout ce qui devrait sortir de moi reste bloqué là de façon inappropriée. Une bonne occasion pour se changer les idées et sortir faire un tour je me dis. Si tu viens sur ma terrasse au soleil, tu verras qu'il y a beaucoup de gens qui ne se connaissent pas mais qui préfèrent rester debout plutôt que de partager un morceau de chaise. Les conversations autour sont le brouhaha sonore que l'on aimerait oublier mais pour cela il faudrait partir à l'étranger (alors les mots ne sont plus que des sons, je ne les comprends pas et ils ne s'insinuent pas jusqu'à l'intérieur de moi, contaminant mon être et ma pensée de façon définitive, de façon irréversible, de façon insupportable). Pareil, si tu veux regarder autour de toi sans te faire plaquer au sol par la moindre affiche publicitaire, voyage loin. Tu ne peux pas fermer les yeux à tout, tu ne peux pas te boucher les oreilles, tu ne peux pas empêcher les gens de travailler ni de te bousculer dans les rayons frais du supermarché, ni de parler de Nico juste dans ta nuque, qui est vraiment trop incompréhensible tu vois, avec tes copines, d'une voix de tête. Tu ne peux pas écrire en clair sans faire partie de ce monde, mais si ce que tu veux c'est créer quelque chose de nouveau, alors tu dois te retirer. Considère avec un courage suffisant et idiot ces heures collées au bureau à t'user les yeux sur un écran d'ordinateur quand dehors il fait beau, quand les filles sont toutes en mini jupe, quand la piscine vient d'ouvrir, quand c'est l'anniversaire de Mady, la sainte patronne des alcooliques du quartier. J'ai soif mais je m'efforce encore. Je m'essore de toute la vie que j'ai dans le ventre et puis je me remplis. Je sors, je rencontre une femme aux grands gestes et à la voix trainante, au pantalon serré et aux bottes à bouts pointues en cuir élimé. Je la suis. Je ne sais pas pourquoi. Viens chez moi a-t'elle dit, on verra bien. Nous faisons l'amour. Puis elle me prie de partir. Très bien. Je cherche la vérité cachée de cet épisode dans le taxi du retour. Je cherche le détail infime d'où faire partir une histoire, quelque chose comme un coup de fusil. Je cherche une intimité avec le cosmos dans le mystère des choses (je veux ses grandes règles obtues qui font de ce monde quelque chose de palpable et de crédible, selon nos propres critères: copier le chaos, le perpétuel débordement, le ridicule, l'anéantissement, l'absence de sens et de raison doit aider pour faire une oeuvre aussi riche). Le chauffeur me raconte sa femme, ses crises de jalousie, le crissement du latex, les soirées organisées dans un camion qui parcourt la ville. Il gardera la monnaie sans rien me demander. Je vérifie que je n'ai rien oublié. Dans mon téléphone il y a un nouveau numéro que je ne connais pas. J'imagine que c'est la fille avec qui j'ai passé la nuit. L'effet d'une boisson énergisante se fait encore sentir. Je bande en clair, et je pense qu'il est de bon ton de tenir quelqu'un au courant (on crée quelque chose à partir du moment où on est deux). Je laisse un message vocal explicite au dernier numéro. J'envoie trois SMS. Je ne reçois pas de réponse. Le lendemain, le numéro n'est plus attribué. J'imagine tout ce que nous ne vivrons pas ensemble. Les traveaux à côté de chez moi durent toujours. Je ne peux pas dormir. Je bois café sur café. J'ai le coeur qui bat à tout rompre. Si tu veux écrire, il faut que tu te ralentisses je me dis, il faut que tu imagines un monde exactement identique, et que tu projettes ta volonté sur le corps astral de tes personnages. Tout autour de moi, ce n'est pas mon livre, je n'en suis pas l'auteur. Je n'aurais pas fait les choses comme ça. J'ai gardé le préservatif dans la poche - je l'avais récupéré discrètement, on ne sait jamais ce qu'on pourrait faire avec ma semence. Je considère le sperme qui s'écoule, les petits spermatozoïdes encore frétillants, invisibles, je les imagine. Chacun de ces petits corps est une promesse d'avenir et aussi de quelque chose qui ne se réalisera jamais. Cette capote usagée est une autre alternative, c'est un futur imaginaire, c'est une probabilité qui ne se réalisera pas, mais la possibilité a existé. C'est comme toi / Reviens .




Bande son idéale: 2 Many DJ's - The beach vs Sandwiches