La différence inévitable



Il y a une voix dans ma tête qui me parle, je suppose que c’est moi, aussi le bruit insupportable des travaux d’à côté l’empêche et ce qui reste pour finir c’est un vrombissement lent et inévitable, marteaux piqueurs et perceuse contre le béton armé, si on me cherche je serai au café en bas. 

A deux rues de là, un autre bâtiment à déconstruire, derrière les échafaudage, en bas au soleil c’est comme à la plage, la rue est presque piétonne, ou au cimetière, avec des marchands de fleur et la vieille pierre, à côté de moi un dessinateur affairé sur son cahier comble les cases avec des dialogues à l’écriture serrée, spastique, un seul personnage jusque là en train de hurler en se tenant les oreilles et le bruit vient de tous les coins, c’est très ressemblant, tout ça n’existe peut-être pas je me dis, je veux dire si tu es une apparition, ou un quelconque produit de ce qui se passe dans ma tête, viens, c’est maintenant. 

J’ai lu quelque part que les incas n’avaient pas de mot pour dire ce qui est abstrait, ils faisaient des nœuds complexes qu’ils suspendaient aux arbres et ils restaient là à les regarder jusqu’à ce qu’ils leur rentrent dans la tête. Sur la place, la caryatide aux trois vierges comme tu dis, me rappelle de la même façon ce que tu es et aussi ma soif de ce qu’il y a au milieu de toi. 

C’est juste que penser à toi, c’est beau, mais ça ne peut pas suffire. Il y a forcément une différence entre toi et celle que je crois voir en toi. Cette différence est inévitable. Je peux te regarder encore jusqu’à ce que tu me rentres dans le crâne mais tu as une vie à toi, et puis rester là à imaginer tout ce que tu pourrais être  je préfère pourtant te toucher, que tu comprennes ou pas vraiment c’est comme ça. 

Tu sais, c’est comme prendre des notes d’une écriture serrée, je ne suis pas sûr de bien me relire, c’est souvent indéchiffrable et ça augmente le risque de confusion. Regarde : j’invente un nouveau langage pour toute ta liberté. Phraséologie complexe et codée en mots courts imprononçables, des foules de paroles fracassés sans verbe ni complément pour exprimer une pensée mais aussi toutes les interprétations possibles de cette pensée avec d’infinies variations d’intonation dans la voix, dans l’expression du visage, et dans les mains. Tout est contenu- je ne dis rien. 

J’apprends à te connaître. Le message caché de l’œuvre, et c’est un peu le mystère de la rencontre. Nous contemplons des abîmes honnêtes (nous n’aurons pas de réponse, nous le savons). Exemple : je veux prendre mon plaisir au fond de ta gorge et aussi dans tes fesses : dilemme. Parfois on aimerait être plusieurs : une seule volonté propre (pour qu’on s’y retrouve), des extensions de capacité, des corps à disposition en rapport dans un espace donné.

 

Bande son idéale: Telepathe - Devil's trident