Drappé palpébral

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Tu as l’air de réfléchir. Il persiste derrière tes yeux une volonté de résistance malgré toi. Ta personne irrévocable – en dernier lieu celle identique à elle-même, réagit par reflexe comme un ultime rempart contre mes intentions. Il s’agit d’être tout à fait clair : je me donne toute la liberté de te vouloir vraiment. Il n’y a plus rien qui m’oblige. Ta dissolution est objective, elle est irrévocable.
J’observe avec un certain détachement chacune des possibilités qui passent par toi. Je prends des notes, déterminé à isoler chacun de tes gestes hors de tout contexte. C’est quelque chose qui m’intéresse d’énoncer patiemment ces choses simples qui concernent ton corps et sa géométrie, mais surtout d’imaginer certaines séquences fusionnées avec les angles de la chambre – le reste passe au second plan, je ne sortirai pas d’ici avant d’en avoir fini.
C’est une véritable obsession pour l’activité spécifique de tes fonctions.
Sur le rebord du lit tu te demandes si tu dois t’allonger près de moi. J’observe l’inclinaison de ton pubis en récapitulant mentalement les paramètres uniques qui t’identifient dernièrement : de fines coupures sur le corps, un système musculaire efficace et souple, un orifice encore non identifié. Plus tôt, accroupie sur le sol de la salle de bain, les genoux écartés, le corps que tu me proposais plié en deux contre la fayence frottée de la baignoire évoquait un étrange véhicule mutilé perdu dans une fin de couloir d’hôpital.
Je répète pour moi-même cette séquence intérieure plusieurs fois en me masturbant. Tu te penches sur mon épaule, tu me regardes tendrement avec une lueur d’inconscience tout au fond du bleu gris comme on regarde un enfant inadapté sans y faire trop attention, tes cheveux caressent ma poitrine, tu appliques une sorte de fixatif onirique à la scène qui lui donne sa véritable dimension, tu comprends mon désir d’être enserré par ton vagin, complètement, définitivement, tu voudrais me convaincre de quelque chose, tu cherches bien tes mots, tu t’interromps. Peine perdue tu sembles dire un peu triste, rien ne me fera plus changer d’avis.
Je cherche dans tes yeux, au centre des moirures étranges du cristallin, des diagrammes prédictifs de forme complexe, des perceptions immédiates couleur bleu cobalt, de nouvelles approches prospectives.
Le vent souffle au dehors dans la ville abandonnée, les cinémas sont en ruine, les parkings sont fleuris comme des tombes avec des automobiles abandonnées, tout est à recommencer.
La transition d’un corps à l’autre se fait par les interstices de l’espace entre nous. Pourtant c’est loin. J'ai envie d'être un glaçon entre deux peaux à toi et de disparaître au fond de la jonction de tes deux sexes creux, totalement englouti et noyé de désir de toute part. C’était prévisible d’un certain point de vue. Tu comprends ce que je te dis là n’est ce pas ?
Il me semble que je me rapproche de toi de façon irréversible dans le temps immobile. C’est une proposition qui fait sens. Tu fermes les yeux. Tes paupières sont chacune un rideau irrigué qui font taire les restes épars d'un autre monde au dehors, tout ce qui ne nous concerne pas, et qui jettent le discrédit sur tout ce qui n'est pas toi en dernier lieu. On se retrouve dans le noir. Nous ne sommes plus éclairés que de ta lumière intérieure. J’aime cette intimité.


Bande son idéale: The Doors - Not to touch the earth