No Dixit (No Exit)



Les phrases toutes faites sont là pour masquer l’angoisse, la peur de l’échec et du ridicule c'est-à-dire du temps de vie gâché, donc de la mort, parfois pourtant mieux vaut se taire. Tu préfères les non dits, qui s’étalent bien, qui s’allongent, qui s’insinuent, on peut se tromper sur leur sens, c’est ambivalent souvent, c’est ambigüe, c’est une brèche de possibilités, mais tu réfutes : pour toi, ce qui compte ce sont les non dits qui sont une évidence – que dois-je comprendre ? Autant te le faire savoir tout de suite, je n’y entends rien, tu me parles de ça comme si c’était tout naturel de laisser le doute prendre le pas, comme si c’était un but, mais un doute objectif et surtout évident, qui se nierait lui-même en quelque sorte. Je pense au contraire qu’il faut brusquer la réalité et la violer un peu, planter bien ses deux pieds dans le sol et imaginer être dans un rayon de lumière : décider pour soi et pour toi. Etre un homme, c’est aussi ma fonction. En choisissant cette solution, je ne peux pas me tromper/j’aurais une excuse suffisante. Entre les deux, comme d’habitude, toute une échelle d’infinies variations et de subtilités floutées où je perds ma concentration.
Par honnêteté je devrais prendre mes distances avec toi. Rien n’est simple, épuisé par l’effort dû à ta présence, je commence à répéter en boucle ce que tu veux entendre plutôt que ce que je voudrais dire. C’est s’éloigner des objectifs initiaux. La conversation suit son cours, le soleil de 18h se cache derrière les bâtiments, les rayons ardents qui me faisaient plisser les yeux et qui peut-être m’empêchaient de voir /te voir vraiment ont disparu, et avec eux la chaleur invisible et calme qui nous fait défaut, l’air se rafraichit d’un coup, je regarde le bout de tes seins se durcir sous ton chemisier vert forêt, une fleur gravée sur l’épaule et la manche mais je suis sous le tissu près de ta peau nue à mordiller de côté doucement les yeux fermés en t’enserrant la taille, tu caresserais mes cheveux en respirant lentement, tu me regardes faire homme/enfant, j’ai envie de te basculer sur la table et de me rapprocher de ta peau, en relevant ta jupe qui te tient bien sur les hanches, je repose mon thé, j’ai de la retenue, je regarde autour de moi en acquiesçant et sans t’avoir écouté je réponds quelque chose de convenu et d’apaisant. Tu approuves silencieusement mais m’as-tu entendu hurler d’une façon ou d’une autre?
Le lendemain, sur ta chaise devant la vitre, je ne te vois pas vraiment mais je t’imagine, complètement aveuglé par la lumière extérieure, ta silhouette et tes gestes dessinés en négatif dans le halo blanc, je pense que tu n’as pas tort finalement, les mots sont inutiles parfois, je regarde tes épaules et ta peau soyeuse dénudées par le pull over noir un peu lâche, je voudrais te lécher la tête humérale ou au moins l’aile externe de l’omoplate et je te regarde me parler plus que je ne t’écoute, je n’y vois plus rien c’est insoutenable. Admettons, tu n’es pas tout à fait la même à chaque fois et les situations sont différentes, similaires mais différentes, mais je prouverai ma constance dans l’impossibilité de te parler honnêtement en te regardant dans les yeux : je suis saisi au ventre, à moins que tu n’interviennes je continuerai d’admettre pour toi qu’il existe plusieurs sortes d’amour, et que la passion physique n’a qu’un temps (les corps à portée) le cerveau limbique complètement saturé d’hormones contradictoires.
Profitons encore de ces moments là, et de cette indécision – c’est beau. Regarde où on en est. Tu bois de l’Absolut au goulot, tu ne tiens plus debout, tes bas sont filés aux cuisses, je ne sais pas ce que tu faisais dehors ni avec qui. Ce soir là tu avais encore la distance modeste des filles avec qui je n’ai pas encore couché – tu aurais pu me détester pour ça, j’aurais compris. Il allait se passer quelque chose, tout le monde pouvait le sentir, mais tu refusais de voir les choses en face. A un moment tu t’es sentie mal, tu es allée t’asseoir, je me suis approché par derrière, j’ai posé mon visage sur ton visage, mais à l’envers. Plus tard dans la voiture tu me demandes si j’ai envie de baiser je te dis oui tu me dis non. Tu ramènes les jambes vers toi, si je veux te voir toute nue ? Oui. Non - ça claque. Je ne sais plus quoi faire, je te dis comme un américain que tu es la one, que tu es la seule, que ce que je ressens c’est de la tendresse, une tendresse un peu dure c’est vrai mais il faut s’accepter comme on est, j’ai envie d’être près de toi tout le temps, dormir avec toi, manger avec toi, être dans la salle de bain avec toi, tout ce que j’ai vécu jusqu’ici c’était juste pour ce moment là tu sais, c’est le début de quelque chose et pas seulement le jour qui se lève tu sais. Tu veux que je te suce ? S’il te plaît. Ta gueule.




Bande son idéale: Pixies - Alec Eiffel