Anticorps



Miles revient de la semaine de la mode à Delhi. De collection en collection, pas un podium ne lui aura échappé. On repassera pour l’Inde. Je l’accompagne à une vente privée dans un entrepôt rue de Valois. On y croise un chanteur des années 90 vêtu de cuir et dont le visage s'affiche chez tous les vendeurs de fallafel. DJ Splitz distille le meilleur de la musique d'ascenseur pour une clientèle huppée, qui aime cheminer dans les rayons déserts seule en tenant son Vuiton par l’anse à l’avant bras, un easy listening électronique, ironique et distancié qui donne envie de porter des chemises bûcheron avec des bottes à frange. Jupe en jean déchirée, collants en nylon vert pétant, lunettes noires et sweat à capuche, chaussée dans des bottes en caoutchouc ferme Terratorn, une marque finlandaise introuvable à Paris, Sloane saute du taxi pratiquement en marche. Elle cherche dans les rayons la parfaite petite tenue d'intérieur pour Jennifer et Jennifer: c'est une chemise à fleurs carnivores en coton longue et sans manche au col brodé, indémodable, parfaite oui mais c'est la dernière et elles sont deux. Intermède volontaire au Café N et concours de name dropping avec Alfredo. Arthur Martin, Cecil B 2000, Pierre Richard contre Laurent de la Hussët, François Hiérolymus de la Salle et Martial Martiano – on a le droit. Au Tr… deux Islandaises participent à une conversation dont elles ne comprennent visiblement pas les tenants ni les aboutissants. Fantasy Bruno, clone de Guy Debord, me présente Serena, celle qu’il appelle sa body body, clone d’Alyssa Milano. Soudain contre toute attente le désir tombe sur les corps c’en est fait. Rêve idéal, il n’y a plus que des vitesses, des lenteurs. Deux mystères se frôlent. J’ai déjà vu ce visage quelque part, dès la première fois. Par chance je porte mes sandales en latex sur de grosses chaussettes signées par Asia A, deux épaisseurs de chemise bleues pétrole aux rayures hypnotiques, un petit gilet en cachemire et le cuir épais de Sergent Christofer, des lunettes Marcel Plantier et je suis surtout accoudé au bar, ce qui me permet de rester debout plutôt que de m’étaler à son passage pour me rouler par terre dans les cellules mortes répandues de son corps échouées sur sol. Rapprochement des éléments liquides dans deux corps résolument différents, manœuvres d’approche, élongation du coude à force de me tenir la mâchoire. Je suis alors curieusement plusieurs au dedans, sorte de collectif mouvant dans un seul corps vivant, mais une seule idée fixe : je suis dans la peau de moi, mais je veux être aussi dans la peau d’elle. Elle fruit défendu qui rend les nuits blanches. Sad Songs, Florida, d’où je chante que je crie que je suis dans ses pas, Mysterious Viciousness, Alabama, car la chimie du corps est une torture à envisager. Elle est l’agent étrange du chaos, la constante immuable, l’axe de symétrie concret et imprédictible autour duquel tournent nos vies ; la pendule indique une heure qui n’avance pas, il se lève et au Chez M ils se vautrent dans des canapés retranscrits par les miroirs écrans, répétés dans leurs gestes un millier de fois c’est là l’instant exact présent, mais la dernière image = queue de la comète du temps. Little Joe est avec Black Francis et deux mannequins estoniennes chambre 19 de l’Hôtel A encore pour quelques heures si on veut passer. Pete D est de passage à Paris, et il se livre lors d’un concert improvisé dans le loft commun d’Alisson VDP et Madon de Bruxelles, deux créatrices de mode lancées dans l’édition d’un webzine underground en construction. J’avoue que j’ai quelque peu perdu le fil de la soirée dans les yeux et les fonds de verre de Serena, et je suis la bouteille brisée échouée sur les rivages de plages nues, là où disons des ondes en vagues révèlent la roche fine et friable en strates profondes, flots pour moi de la soif qu’elle est. Michel Michel décrète l’insurrection sexuelle et exige la libération des mœurs. Tous les regards dans le loft se tournent vers Sloane en femme vampire, noire, sensuelle et dangereuse. Au matin, Serena a mis fin à notre relation. Elle se rhabille. Elle a besoin de pureté me dit-elle, en me regardant bien en face, comme pour souligner que c'est bien évidemment là quelque chose que je ne pourrais jamais lui offrir, comme elle le savait maintenant. A quoi bon discuter, je suis rendu par les mains et les pieds liés, et la plaie délicieuse me déchire les flancs, un instant, puis on sonne. Me voilà de retours dans le coude des choses. Ecrire le jour, sortir la nuit. Il devait y avoir quelque chose dans mon verre, oui mais quoi ? Garçon! La même chose alors, encore.



Bande son idéale: Aphex Twin - Vordhosbn