Contrainte formelle du réel et réciproque situationnelle amphibie



Orion défait sa natte et se lisse les plumes. Tout est vrai mais cela se passe dans mon esprit. Mon avatar me suit partout. Il ne parle jamais. Du coin de l’œil je feins de l’ignorer. Sorte de télépathie de l’instant immédiate et bipartite. Pour Orion, le réel n’est qu’une contrainte formelle. Lui sait que nous regardons en biais, comme orientés depuis le début du mauvais côté. Partout, toujours, il est pour nous le maître de toutes choses et de la conscience interne, et à nous deux il semble que nous sommes à la fois tout ce qui est et tout ce qui n’est pas, deux potentiels chargés de leur propre magnétisme, si parfaitement espacés que l’événement visible ne tarderait pas à en être fulguré. Disons que son apparition rend acceptable une certaine forme de disparition. Chaque chose est un couple d’évènements opposés aux probabilités égales. Rien n’est plus vraiment ce qu’il y paraît, il n’y a plus que ce qui pourrait devenir. Mais Orion n’aime pas les DJ. C’est juste que ces gens n’arrêtent pas de parler avec les phrases des autres me fait il sentir. Comment faire comprendre à ce corps astral issu de mon imagination la valeur pythagoricienne de la répétition de la même boucle simplifiée et hypnotique, respirant pour elle-même d’une certaine façon, comme sous support aux exécutions furieuses d’une basse électronique qui sonne comme le générique TV d’une série américaine des années 80 dans la recomposition du thème mélodique de La soupe aux choux ? Et comment le convaincre du génie, au sens de Musil, de l’enchaînement contre nature d’un break beat insidieux inspiré de la ballade de Pierre et le loup et du nu abyssal de l’électro dogmatique de RamonEye, décatie pour le meilleur, comme le jus du fruit dans le verre (certains diraient aussi que c’est de la musique faible, mais n’est-ce pas là sa force ?) ? Insolent, impertinent, muet comme une carpe, Orion me suit partout, et sa présence me donne l’audace nécessaire à la résolution de certaines situations, insouciance toute situationnelle des sentiments exercés dans la légèreté fractalisée de mon être dirons nous. Au Toro, Raymond le Dog tente d’expliquer à une serveuse qu’il confond avec Amira Casar le sens caché de la série Lost par la lecture de René Daumal. Sloane passe de conversation en conversation, elle porte une longue robe ample à fleur d’une autre saison, et des leggins en cuir noir, aussi des bottes à frange en daim Chantal Musseau. Chacune des deux Jennifer est, en y regardant bien, une tentative d’avatar inversé, déterminée en temps réel, adaptative, convaincue de ses propres atomes. Dans la rue Orion lève la tête et les bras vers les étoiles pour jouer avec son nom. Calmement, il respire les silences par la peau. Au PFC, Michel Michel demande un papier et un crayon pour dessiner sous nos yeux à quoi ressemblerait l’orifice du monde. Grégory Mikhaël nous a rejoint, il écrit un scénario de bande dessinée, un homme qui recommence à jouer avec sa propre personne dans la vraie vie après s’être acheté une console vidéo de marque japonaise, et qui va tomber amoureux d’une étrange femme masquée qui compose des poèmes en forme d’énigme quand la mélancolie granuleuse l’envahit, c’est à dire à la moindre évocation du vieux module Atari VCS 2600 (cette femme porte également en toute circonstance des patins à roulette). Au R, after vernissage de Blank me, No name et AliWood. On quitte pour l’anniversaire du webzine Nevermind à l’A. Aka Lulu est injoignable, mais si l’on compose le numéro de JohnnySunshine c’est lui qui répond. LittleJoe porte une nuque longue, et inaugure ce soir sa magnifique moustache. Fin de soirée subtile au Moonlight et la piscine est à nous. Où nous nous alanguissons sur des sofas de cuir rouge tannés par les injonctions répétées d’un désir envahissant. Où nous ne sommes plus vêtus que de simples pagnes en satin brodé, les pieds nus et les cheveux mouillés, à faire couler toute sorte de sirops pour la toux sur la peau. Où nous explorons les mille et uns petits détails de la mosaïque qui autorise les prises dans le gigantesque bain à remous, tandis que certains font des longueurs. Peut-être sommes nous tous rouges ou peut-être est-ce la lumière du plafonnier qui colore les téguments, réfléchie de corps en corps et toujours plus envahissante. Chacun digère la nuit à sa propre façon. En y réfléchissant je suis un peu embarrassé. Orion ne dit rien. Dehors il fixe le ciel. Un cadran du plafond étoilé lui apparait mal éclairé. De sa main il fait le geste de sortir une ampoule de sa poche imaginaire, puis de la visser sur un socle que nous ne voyons pas –simple mais intense. Sa lumière nous parviendra dans quelques millions d’années.


Bande son idéale: Deceptacon - Le Tigre (DFA remix)