Résolution électronique



Dans le métro de 6 heures du matin, sur les deux sièges qu’elle occupe de son seul séant, les cheveux gras et abîmés, le faciès vultueux et exalté, elle invective les passagers en se grattant les croûtes du genoux droit, puis elle se met à hurler « coucher avec l’homme à hauteur du corps par bonds électroniques à distance» ad lib – sublime. En haut de l’escalator, deux canettes de boisson énergétique coincées entre le mouvement de la marche mécanique qui se renouvelle sans cesse et l’immobilité du rebord métallique roulent sur elles mêmes, métal contre métal, atome contre atome, friction, deux volumes espacés avancent immobile séparés par une distance que l’on ne peut vraiment mesurer, parallèles. Ca va de mieux en mieux. Michel Michel en pantalon de velours mauve et lunettes de soleil vissées sur le crâne est fasciné par la précision des gestes des colleurs d’affiche – papier plaqué contre mur, dans le même mouvement recto-verso imbibé d’eau savonneuse, l’encre se révèle et la colle de l’autre côté. Deux univers se côtoient, se regardent mais ne se comprennent pas, tous deux de coordonnées exactement éloignées sur la courbe sinusoïdale de la force d’interaction sociale de Moore. Comment en sommes nous arrivés là ? C’est un concours de circonstance comme on les adore. L’avenir n’est pas une rallonge. On ne peut rien savoir à l’avance. Les heures passaient comme la peau se détache du serpent. Tentative de description d’évènements perpendiculaires entre eux. Nous soulevions l’idée de certaines adresses délicates à la peau. Sloane cambrait son corps, étirait les bras et inclinait le buste jusqu’à l’horizontal sans jamais déroger à une verticalité parfaite en suivant les conseils de son coach virtuel – Dominique - lors d’une séance de WiiFit, ses incroyables pieds parfaits bien à plat sur la planche électronique. Nous suivions tous les mouvements de son corps par le plexus de nos ventres et il se créait une atmosphère d’intention physique insoutenable. Jennifer prenait son bain, et Jennifer lui lavait les cheveux. La porte restait toujours ouverte. Slim R. aka Aka Lulu souhaitait désormais être appelé Johnnywood Sunshine - mais quelle était donc sa véritable identité à l’origine ? – et représenté ici sous les traits d’un chat, mais je ne m’y résoudrai pas. Ca s’accélère. Coucher de quartier de lune rousse sur les toits. Soirée Total Todo malgré rien. Little Joe prononce un discours vitupérant qui sonne comme une épitaphe au M. Jeff R prend les platines, mais est repoussé par Soulbasikorchestra. Battle fight. Chacun mix pour soi. Soirée No-No dans le VIIIe chez le fils d’un acteur français dont le nom commence par A, finit par L et dont les trois derniers chiffres de téléphone portable sont 891. Michel Michel veut goûter le kebbab de chez Fauchon. Tiens Raymond Le Dog était là, tout rembruni après 6 heures d’exposition à une lampe à UV achetée sur internet. La Sybille arrive tout droit de son pays : c’est là qu’elle dormira ce soir. On consulte l’Oracle. Joue avec les joueurs me dit-elle avec un sourire entendu. Dans la cuisine, c’est un revival des valeurs aristocratiques : caviar, saumon sur blinis et vodka frappée. Pas d’olive ce soir donc. Vingt trois invités surprise par le premier métro. L’essentiel de la soirée retiendra nos noms. On se quitte sur une chanson paillarde serbe déclamée par un Little Joe des grands soirs sur un ton très sûr de mage moghol. Puis apposition des mains : le feu est en nous. Les lèvres et le blanc de l’œil sont pourtant instantanément gelés dès que nous franchissons le porche, porte fermée, code oublié, interphone en panne, aucun recours ni rebours possible. Fuite éperdue toutes jambes vers l’avant matin calme brume aux poings avec dans la main droite le fond d’une Zubrowska translucide dans son écrin de verre et dans la main gauche Nataliana, une princesse slave de rang divin qui s’est décidée à nous suivre. Par-dessous la ville on chemine dans les réseaux tectoniques. Eric de La Joya est à Goa mais on a les clés. Le bois craque et gronde dans l’immense appartement comme on marche sur son dos d’animal géant. Partout sur le mur des photos de Roger Federer. Nataliana s’approche du piano, s’assoit sur le petit tabouret de velours à damier et penche son corps sur le bois comme sur celui d’un amant merveilleux, Rachmaninov, Les variations Corelli. Soudain alors au plafond, des nuages aux cinq couleurs dans le ciel. Des résolutions comme une évidence: souffler sur soi de puissantes vagues de don, se transformer en statues libres de tout problème, demeurer dans l’action spontanée. Lorsque l’équilibre se déplacera, c’est cet équilibre même qui fera débat.

Bande son idéale : Wu Tang – Fast Shadow